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Entreprise inclusive : rencontre avec Jonathan Charier, spécialiste de l'inclusion et fondateur de l'agence de design Pulse & Pulpe

Vous souvenez-vous de la carafe Andy que Margaux vous présentait dans son article sur le design inclusif ?

Dans la foulée, c’était encore l’époque pré-covid où porter un masque n’était courant que sur les pistes de ski, j’étais allé à la rencontre de son créateur, Jonathan Charier. Spécialiste de l’inclusion, fondateur de Pulse & Pulpe, agence de design spécialisée dans l’innovation d’usage, et aujourd’hui actionnaire et membre du comité de pilotage du Reflet, deux restaurants solidaires (à Nantes et à Paris) dont les équipes sont majoritairement composées de personnes porteuses de trisomie 21, Jonathan m’avait partagé sa vision de l’inclusion, en entreprise et en dehors.

Retour sur cet échange fort, qui n’a pas pris une ride avec cette période de pandémie, bien au contraire !

Inclusion (n.f) [social]: processus par lequel des efforts sont faits afin de s’assurer que tous, peu importe leurs expériences et différences, peuvent réaliser leurs potentiels. Une société inclusive est caractérisée par des efforts pour réduire les inégalités, par un équilibre entre les droits et les devoirs.

Jonathan, peux-tu revenir sur l’origine de la création de ton entreprise Pulse & Pulpe, spécialisée dans l’inclusion, début 2012 ?

À l’origine, ça part d’une provocation sur le sujet de mon mémoire de master : les sanitaires. J’avais trouvé un très bon cas d’usage en terme de marketing, innovation et design, et sur lequel peu de choses n’existaient. De fil en aiguille, je réalise un stage dans le secteur, plus précisément sur le marché des sanitaires pour personnes à mobilité réduite. Et je me rends compte qu’il n’existe que des produits sans esthétique et stigmatisants. C’est la base de ma réflexion pour lancer Pulse & Pulpe.
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Et donc, dans la foulée, tu te lances ? 

C’est ça !

Le projet initial était de créer une plateforme liée au design inclusif, destinée à accompagner des designers depuis le financement jusqu’à la commercialisation. Sauf qu’en 2012, le design inclusif en est vraiment à ses balbutiements. Premier pivot donc : on se positionne comme une agence de design dans l’inclusif, en auto-édition.

On s’intéresse notamment aux arts de la table, on donne naissance à la carafe Andy. Puis rapidement, on pivote à nouveau, car l’auto-édition est très consommatrice de capital. On décide alors de garder le concept d’agence industrielle mais pour répondre aux besoins de développement d’autres sociétés.

Et vous vous développez auprès de grands comptes ! Comment est-ce qu’on sensibilise ce type d’organisations à la notion d’inclusion ? C’est quelque chose d’un peu inhabituel pour beaucoup, non ? 

Plutôt oui.

La première étape, c’est la prise de conscience. L’enjeu était de montrer aux industriels ou aux marques qu’on pouvait toucher en même temps des populations de niches et « classiques », avec des produits qui était beaux, inclusifs et pertinents pour tous, donc non stigmatisants.

On parle là, par exemple, des seniors en perte d’autonomie, des enfants en apprentissage de leur autonomie, ou encore des personnes en situation de handicap… Le second enjeu, était de garder le lien avec les produits dits habituels, leurs utilisateurs et leurs usages.

Typiquement, faire un produit inclusif pour le vendre en pharmacie ou en magasin spécialisé, c’est foutre en l’air le concept même de design inclusif. C’est stigmatisant pour le produit comme pour l’utilisateur.

Enfin, le dernier enjeu, majeur, était d’aller au-delà du test. Car si la sensibilisation et l’implication se faisaient bien, à l’époque, on restait trop souvent à l’étape de prototypes.  

Design inclusif - le jeu Shifter créé par Suricats Consulting
Le shifter est un jeu de rôle développé par Suricats. Il met en avant des personas "extrêmes" pour se forcer à prendre en compte leurs besoins spécfiiques lors des phases de conception d'un projet (nouvel objet, service, expérience, processus,...)

Après Pulse & Pulpe, tu arrives chez Suricats…

J’ai découvert Suricats lors d’un atelier de design inclusif. A l’époque, j’allais fermer Pulse & Pulpe (résultat de créances clients jamais payées et d’une conjecture économique compliquée pour les agences). On m’a proposé de rejoindre l’aventure pour apporter mon expérience. J’ai candidaté et, assez rapidement, j’ai rejoint Suricats.  

Par rapport à ton expérience chez Suricats, peux-tu nous faire un retour d’expérience, notamment sur le rapport que nous avons, nous Suricats, à l’inclusion. J’en profite pour mentionner que tu es toi-même porteur d’un handicap…

Oui effectivement !

Pour la petite histoire, j’ai eu un accident de bicross en 1996 qui m’a rendu tétraplégique. J’ai enchaîné les soins et la rééducation pour récupérer autant que possible et j’ai fini par quitter mon fauteuil roulant une petite dizaine d’années plus tard.

Aujourd’hui, je marche, j’ai mon permis de conduire… ça roule quoi ! Je ne pense même plus à mon handicap, même s’il se voit. Je suis comme je suis, et ça pose peu de soucis.

Je pars du principe que c’est un trait personnel comme un autre, et que, dans une relation professionnelle, il n’y a pas lieu de s’arrêter dessus. On peut en parler, mais c’est secondaire par rapport à qui je suis et à mes compétences. Ça n’est tout simplement pas ce qui me définit. 

Et tu penses que parfois les gens y prêtent trop attention ? Qu’ils s’attardent trop souvent dessus ?  

Totalement, oui. Typiquement, chez Pulse & Pulpe, j’étais en charge de la prospection commerciale, et jamais je n’évoquais mon handicap. Mes interlocuteurs ne s’en rendaient compte qu’au moment où nous nous rencontrions, pas avant.

Dans 99% des cas, ça ne posait aucun souci. Et pour les 1% restant… que dire ? On tombe parfois sur des gens étroits d’esprits, à qui ça pose problème. C’est con comme réaction mais tant pis pour ces gens-là !

Plus tard, chez Suricats, un collègue m’a demandé un jour, un peu maladroitement : « Est-ce que tu pourrais téléphoner au client pour le prévenir de ton handicap ? Histoire qu’il n’y ait pas de surprise… ».

Je ne l’ai pas mal pris…mais je ne l’ai pas fait (rires) ! Ce n’était pas méchant mais maladroit. D’autant que mon handicap n’avait aucun impact ni sur la mission ni sur mon travail. 

Si on oublie cette maladresse, as-tu le sentiment d’avoir reçu un traitement différent chez Suricats ? Faisait-on particulièrement attention à toi ? Essayait-on de te ménager ?

Non, pas du tout, et justement, c’était très bien. Le seul traitement de faveur auquel j’avais droit était qu’on me proposait d’aller me chercher à manger (rires). Pas désagréable ! En dehors de ça, j’étais un consultant comme un autre et c’était hyper agréable, il n’y a jamais eu le moindre problème. 

Suite à ces expériences, tu es aujourd’hui actionnaire et au comité de pilotage du Reflet, un restaurant solidaire qui emploie des personnes porteuses de trisomie 21, en salle comme en cuisine…

Oui, je connaissais la fondatrice depuis plusieurs années déjà, j’avais accroché avec le projet. Ce qui est intéressant avec Le Reflet, c’est que l’on a ouvert le monde du travail à la différence, et plus précisément à des personnes porteuses de trisomie 21, pour qu’elles travaillent dans un environnement 100% « standard » ! Et ça, c’est EXTRAordinaire. On est dans l’univers de la restauration grand public, en plein cœur des villes, avec un minimum d’adaptations par rapport à n’importe quel autre restaurant.

Et, que ce soit à Nantes comme à Paris, ça marche, et ça marche même très bien (interview réalisée avant la fermeture des restaurants liée au covid) ! Les clients sont au rendez-vous, les candidats porteurs de trisomie 21 sont (largement) au rendez-vous, et, plus important encore, la satisfaction est au rendez-vous ! A la fois pour les clients et pour les employés.

Quels sont les profils de vos clients  ?

À la fois des personnes sensibilisées au handicap, et monsieur et madame tout le monde. Des personnes qui cherchent une bonne table et à se faire plaisir. C’est ce qui est fort dans ce concept : on met en contact le grand public avec des personnes porteuses de trisomie 21. Et les gens se rendent compte que le travail est fait à la perfection. C’est une prise de conscience et une sensibilisation fortes.

Si on prend un peu de recul, histoire d’avoir une vision plus globale, as-tu le sentiment que le sujet de l’inclusion prend de plus en plus de place aujourd’hui, par rapport à tes débuts en 2012 ?

C’est une tendance de fond qui s’installe, il y a des évolutions rapides (à titre d’exemple, le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire à Paris a augmenté de 80% en cinq ans, bien que l’on parte de loin).

C’est un mouvement incontournable pour des raisons très simples.

La première, c’est évidemment le vieillissement de la population.

La seconde est le vieillissement de l’âge moyen auquel on accède à la parentalité. Plus cet âge augmente, plus le nombre d’enfants porteurs de handicaps augmente.

Enfin, la dernière raison est la prise de conscience croissante des discriminations.  Je parle évidemment des discriminations liées à la couleur de peau, aux religions, aux orientations sexuelles, etc. On observe aujourd’hui une forte volonté de lutter contre ces discriminations.

Malheureusement, au milieu de tout ça, le handicap reste encore un sujet largement tabou où l’on empile les stéréotypes et les idées préconçues, alors que l’on est sur une ségrégation similaire. Typiquement, jamais on ne m’aurait demandé d’appeler un client pour le prévenir que je suis musulman, noir ou homosexuel.

Aux marques et industriels de prendre leur courage à deux mains et de franchir le Rubicon !

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