Construire le monde de demain, ça implique de réfléchir au monde tel qu’il est aujourd’hui.
Une méthode pour cela consiste à imaginer des situations, des objets et des usages qui n’existent pas (encore) afin d’interroger la société contemporaine. Design critique, design fiction, design spéculatif sont autant de termes qui désignent une même approche de la création, une approche qui raconte des histoires et qui fait réfléchir son auditoire.
Mais quelle forme prend cette pratique si singulière du design ? Eléments de réponse dans notre résumé des propos échangés lors de notre rencontre interview de James Auger et Emanuele Quinz.
Le 28 Juin 2019, Suricats-consulting recevait Emmanuele Quinz (historien du design) et James Auger (designer) afin qu’ils racontent, ensemble, le design fiction au collectif.
Avec son point de vue d’historien, Emmanuele nous a présenté un certain design comme étant, non pas simplement une pratique qui travaille à créer des objets avec le souci de la forme, de l’esthétique ou du fonctionnel, dans un idéal de beauté ou de confort, mais plutôt comme une approche de l’objet qui induit, chez l’utilisateur, des comportements singuliers voire inhabituels.
Emmanuele Quinz : « Entre design et art, la frontière est floue »
En se basant sur son ouvrage « Strange Design. Du design des objets au design des comportements », Emmanuele développe l’idée que l’étrange et le doute sont des composantes caractéristiques d’un design qui est apparu dés les années 1960. À l’époque, les italiens de Archizoom ou de Superstudio bousculent le bon goût en proposant des objets capables de provoquer des réactions fortes chez leur usager.
Cette conception du design évolue jusqu’à influencer, dans la fin des années 70, des studios tel Alchimia ou des groupes comme le groupe Memphis. Ceux-ci développent alors des objets colorés et biscornus dont les usages classiques sont perturbés. Enfin, cette approche du design qui s’intéresse davantage aux rapports artefact-usager qu’à la forme même va, dans les années 90-2000, faire naitre des travaux innovants comme ceux du studio Droog (voir la commode Chest of drawers de Tejo Remy). Là encore, les objets sont tordus, étranges, et provoquent chez leurs usagers un sentiment de singularité.
Les objets de design présentés par Emmanuele flirtent avec une approche résolument artistique. Les frontières entre design et art sont alors floues et peuvent s’y glisser des pratiques comme celle de James Auger.
Ce dernier nous a présenté plusieurs de ces réalisations. Il est célèbre pour le projet Audio Tooth Implant qu’il a développé en 2001 avec J. Loizeau. Dans la continuité du design critique tel que développé par les radicaux italiens présentés par Emmanuele, James définit sa pratique spécifiquement comme du design fiction.
Les objets qu’il présente, tels l’implant dentaire connecté, n’existent pas vraiment. Il créé des présentations et des représentations de ces objets qui véhiculent des idées politiquement incorrectes ou inconfortables. Il nous explique ainsi que ses projets visent à extrapoler les usages des technologies existantes pour ensuite porter un regard critique et intérrogateur. Son travail est également voué à la définition de présents alternatifs. En proposant des scénarios futuristes plus ou moins dystopiques, James propose de réfléchir au présent et prouve que l’on peut le redéfinir.
James Auger : « extrapoler des usages futuristes des technologies existantes permet de porter un regard critique et interrogateur sur celles-ci »
Notre MBA design critique/fiction s’est terminé sur un exercice d’acculturation auquel se sont livrés les consultants, designers et ingénieurs de Suricats. Nous avons dessiné des technologies qui prennent corps dans des objets étonnants, imaginés leurs usages et inventés les impacts de ceux-ci sur la société. Un exercice concluant sur la capacité du design à raconter une histoire et à développer un projet innovant dans toutes ses implications.
Chez Suricats, le design thinking est depuis longtemps une pratique habituelle dans l’élaboration des projets. Le design fiction nous apparaît être un outil à utiliser aussi dans l’élaboration de l’innovation. Provoquer des débats et produire des discours au sein des équipes sur les technologies en jeu dans les projets que nous portons est définitivement une pratique productive et efficace pour une pensée collective. Nous avons eu l’occasion d’expérimenter cette méthode avec xBrain lors d’un atelier collectif qui a donné à repenser l’I.A., ses usages et ses impacts sur le monde.